Mutualisation : une priorité partagée par tous les acteurs de la supply chain
Urgence climatique, hausse du prix des carburants, pénurie de capacités… tout plaide en faveur de la mutualisation du transport de marchandises. Les acteurs de la supply chain conviennent tous qu’il faut accélérer dans ce sens, malgré l’étendue et la complexité du sujet…
La mutualisation, tout le monde en parle depuis des décennies dans le monde de la logistique et du transport, notamment routier. Réunir dans un même camion les marchandises de plusieurs donneurs d’ordres apparaît plus que jamais comme la solution de bon sens pour, tout à la fois, réduire les coûts de transport, limiter le nombre de véhicules sur les routes et, par conséquent, les émissions de CO2 et l’empreinte carbone du transport.
Si la mutualisation était plus largement mise en œuvre, voire généralisée, le taux de remplissage moyen des camions ne serait pas de seulement 67% et les retours à vide seraient l’exception ! D’évidence, tout le monde y gagnerait : les industriels, les transporteurs, les prestataires de services logistiques, les distributeurs – sans oublier les clients finaux, le climat et la société !
Alors pourquoi n’est-ce pas encore le cas ? C’est la question qui a été posée aux représentants de plusieurs métiers de la supply chain lors de la conférence organisée par Nomadia dans le cadre de la SiTL 2022. Au-delà de la nécessité d’aller plus loin, dictée par les enjeux environnementaux, les attentes sociétales et la flambée du prix des carburants, leurs réponses et retours d’expérience font état d’un certain nombre de freins à la généralisation de la mutualisation, mais aussi d’axes de progrès où les technologies d’optimisation et le partage des données ont un grand rôle à jouer.
Tout n’est pas mutualisable
Il faut en prendre acte et cesser d’ériger la mutualisation du transport en réponse universelle à tous les maux : tout ne peut pas, pour des raisons matérielles, être mutualisé. Il suffit de l’exemple donné par Christian Rose, Responsable environnement, transport et logistique de CGI (Confédération du commerce de gros et international) pour s’en convaincre : « C’est contre-intuitif, mais on ne peut pas mutualiser le transport des fruits et des légumes dans un même camion. Les légumes émettent des substances qui corrompent les fruits. Ce qu’on peut voir comme une évidence s’avère en réalité impossible pour des raisons d’incompatibilité. Pas question donc de les faire voyager ensemble, même s’ils sont destinés aux mêmes clients. » Il y aura nécessairement deux camions. Si mutualisation il y a, elle se fait catégorie par catégorie, au niveau d’un transporteur en capacité d’agréger les cargaisons de plusieurs producteurs. C’est tout l’enjeu de la massification et du pooling, qui en regroupant des produits compatibles, permettent aux petits chargeurs (PME/PMI) d’accéder eux aussi aux bénéfices de la mutualisation.
Mais le principal frein au développement massif de la mutualisation reste la réticence des chargeurs. En dépit des arguments écologiques, beaucoup ne veulent tout simplement pas que leurs marchandises soient convoyées dans un véhicule transportant également les produits d’éventuels concurrents. Certains considèrent que les tournées mutualisées sont moins performantes parce qu’elles intègrent des points d’arrêts qui ne les concernent pas et dont la desserte allonge les trajets et la durée des tournées. D’autres enfin, qui voient la livraison comme le prolongement de l’acte de vente, estiment que le recours à la mutualisation réduit la maîtrise qu’ils peuvent avoir sur la qualité de service offerte à leurs clients. Les tensions et contraintes de la période actuelle (prix des carburants, manque de capacité, pénurie de chauffeurs, retour de l’inflation) sont autant de facteurs qui pourraient inciter les plus réticents à reconsidérer leur position et à se tourner vers des prestataires 3PL ou 4PL à même de leur proposer des services de mutualisation répondant à leurs exigences de qualité de service, de performance et de confidentialité.
Étendre la mutualisation à la reverse logistics
Alors qu’elle connaît une forte croissance, la logistique des retours reste beaucoup moins structurée et optimisée que la logistique « classique » (flux fournisseurs vers clients). Fusionner livraisons et reverse logistique au sein d’une même tournée est une forme de mutualisation susceptible de se développer et qu’il faut encourager. Dans la plupart des secteurs, rien ne s’oppose fondamentalement à ces tournées mixtes, consistant à récupérer retours produits, invendus, palettes, emballages et/ou déchets chez les clients livrés lors de la tournée. On peut ainsi éliminer les tournées de ramassage, ou en réduire significativement le nombre/la fréquence, et, surtout, minimiser les retours à vide des véhicules de livraison. C’est un axe de progrès qui prend toute son importance quand on sait qu’aujourd’hui le taux de retour à vide des poids lourds va de 17% à 30%, selon leur catégorie (source Ademe/Base Carbone®/GLEC 2020). Encore faut-il que les véhicules soient aménagés dans cette optique, avec une nette séparation entre les produits à livrer et les retours collectés, de façon à ce que les chauffeurs/livreurs ne perdent pas de temps à rechercher le produit qui doit être livré au milieu, par exemple, des emballages retournés.
Pour être totalement vertueuse, cette solution de mutualisation doit, de même que la reverse logistics en général, être pensée dans une logique d’économie circulaire, encouragée, comme on le sait, par la loi AGEC. Si des filières comme celles du verre ou des déchets électriques/électroniques sont bien structurées, d’autres ont encore une marge de progression considérable pour parvenir à collecter une part significative des matières et emballages pouvant être réutilisés et recyclés.
Pas de mutualisation sans infrastructures adaptées !
Pour mutualiser plus largement le transport, notamment en zone urbaine pour la logistique du dernier kilomètre, il faut davantage d’infrastructures partagées – autrement dit, mutualisées elles aussi. Comme le souligne Christophe Ripert, Directeur général de Quartus, « la difficulté d’implanter ou maintenir des équipements logistiques en zone urbaine dense est que le foncier est rare et cher, et qu’il faut trouver des solutions pour rentabiliser ce type d’opérations ». C’est précisément une des spécialités de Quartus, qui joue la carte de la logistique verticale et de la mutualisation de l’usage des espaces :
« Nous essayons de faire des programmations qui maintiennent des cellules individuelles pour les opérateurs, mais où les cours de livraison et de manœuvre sont partagées. On peut aussi mutualiser l’usage des cellules de cross-docking, puisqu’elles ne sont utilisées que 12 heures sur 24. » Mais comme tous les opérateurs logistiques travaillent aux mêmes heures, on ne peut pas mutualiser entre deux opérateurs. « Nous avons cherché qui pourrait avoir l’usage de ces surfaces quand les opérateurs ne les utilisent pas. Nous avons trouvé le remisage nocturne des bus, qui est tout à fait compatible avec les activités logistiques qui s’effectuent de jour. Une expérimentation est actuellement en cours avec la RATP qui n’a pas assez d’espace pour stationner ses bus et qui trouve dans cette solution un équipement adapté au poids de charge au sol de ses bus, à leur rayon de giration et à leur besoin de puissance électrique.
Les prochaines avancées viendront de la technologie
La concrétisation des bénéfices attendus de la mutualisation passe d’ores et déjà par l’utilisation de logiciels de planification, d’ordonnancement et d’optimisation de tournées, que ces tournées soient opérées par des entreprises disposant de leur propre flotte ou par des prestataires. Comme le rappelle volontiers Fabien Breget, CEO de Nomadia, « il est absurde de faire des efforts pour mutualiser des capacités de transport si vous n’optimisez pas les tournées elles-mêmes. La complexité vient aujourd’hui de la nécessité d’intégrer de plus en plus de paramètres pour calculer des tournées optimales : Cela va de la capacité de charge des véhicules aux horaires d’ouverture des points de livraison, en passant par la localisation des bornes de recharge pour les véhicules électriques ou la météo. Pour nos clients, la capacité de nos solutions à prendre en charge cette complexité grâce à l’intelligence artificielle se traduit en millions d’euros économisés. Pour ne prendre qu’un exemple, une entreprise qui s’équipe fait immédiatement entre 15% et 25% d’économie de carburant et réduit d’autant ses émissions de CO2. »
Plusieurs technologies complémentaires vont permettre d’accélérer dans la voie de la mutualisation en répondant à deux préoccupations majeures des acteurs de la supply chain, en particulier :
- la blockchain, pour la traçabilité des échanges et la protection des informations/documents relatifs aux cargaisons, véhicules, trajets et zones d’entreposage ;
- les algorithmes prédictifs, pour mieux anticiper les besoins en capacité et faciliter tant la consolidation des volumes que la recherche de fret complémentaire.
Laissons le mot de la fin à Christian Rose de la confédération du commerce de gros :
« Il faut veiller à ne pas avoir de position dogmatique et ne pas se dire qu’il est impossible d’aller plus loin en matière d’optimisation et de mutualisation. On fait aujourd’hui des choses qu’on n’imaginait pas il y a 3 ans. Et dans 3 ans, ce sera pareil. Notamment grâce à l’intelligence artificielle qui sera de plus en plus présente et reliera tous les maillons de nos chaînes logistiques, d’amont en aval et d’aval en amont. »