Les ZFE : enfin sur une voie réaliste pour les professionnels itinérants ?
La mise en place des zones à faibles émissions n’est pas un long fleuve tranquille ! Les assouplissements consentis par le gouvernement et l’instauration d’instances de concertation permettant aux professionnels de faire entendre leur voix, aboutissent à des calendriers plus réalistes. Mais tous les obstacles sont-ils pour autant levés ?
En cours de déploiement dans 11 métropoles*, le dispositif ZFE doit être étendu d’ici 2025 à toutes les agglomérations de plus de 150 000 habitants ne satisfaisant pas aux normes de qualité de l’air. Pour les particuliers comme pour les professionnels, les interdictions de circulation de certaines catégories de véhicules sont la traduction concrète de la mise en œuvre des zones à faibles émissions. Le calendrier des interdictions est au donc cœur des enjeux et de l’acceptabilité sociale des ZFE. C’est en effet lui qui détermine la date à laquelle les uns comme les autres seront contraints de remplacer leur(s) véhicule(s) pour continuer à circuler dans les périmètres de restriction.
* Paris, Lyon, Aix-Marseille, Strasbourg, Rouen, Reims, Saint-Etienne, Grenoble, Toulouse, Montpellier, Nice.
Un calendrier assoupli, mais toujours compliqué…
Or le calendrier fixé – par la loi d’orientation des mobilités (LOM) de 2019 et la loi climat et résilience de 2021 – a dès l’origine été jugé trop ambitieux et à vrai dire intenable au vu de la composition du parc automobile français, notamment de la place qu’y occupent les véhicules diesel et/ou classés Crit’Air 3 et Crit’Air 2 qui font l’objet des prochaines interdictions de circulation dans les 11 ZFE existantes.
Source : SDES – Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires
Devant l’opposition des citoyens, la mobilisation des professionnels et les difficultés rencontrées par les élus chargés de la mise en œuvre des ZFE, le gouvernement a desserré le calendrier en mettant en avant l’amélioration de la qualité de l’air constatée dans la plupart des métropoles. S’appuyant sur ce critère, une nouvelle typologie a été établie, distinguant les territoires qui dépassent régulièrement les seuils réglementaires de qualité de l’air et ceux qui ne les respectent pas. Les premiers sont rebaptisés « territoires ZFE » et soumis à un calendrier contraignant ; les seconds, rebaptisés « territoires de vigilance », bénéficient d’une plus grande latitude, que la ZFE soit déjà en place ou en projet. En conséquence :
>> le 10 juillet 2023, les ZFE de Reims, St-Etienne, Grenoble, Montpellier et Nice ont été exemptées de l’interdiction des véhicules Crit’Air 3 au 1er janvier 2025.
>> le 19 mars 2024, cette exemption a été étendue à Aix-Marseille, Strasbourg et Rouen.
À ce jour, l’exclusion des véhicules Crit’Air 3 au 1er janvier 2025 ne concerne donc plus que le Grand Paris et le Grand Lyon. A ceci près que, bien qu’exemptées, Strasbourg, Montpellier et Grenoble ont annoncé leur intention de maintenir leur calendrier et donc de bannir les véhicules Crit’Air 3 dès 2025. Les négociations en cours avec les différentes parties prenantes pourraient les faire revenir sur leurs positions et les conduire à repousser cette interdiction à 2028 ou 2030 comme l’ont fait les autres territoires exemptés.
L’interdiction des véhicules Crit’Air 2, la plus polémique car elle correspond en pratique à l’élimination de tous les véhicules diesel, est, quant à elle, laissée à l’appréciation de chaque collectivité. Il est probable que toutes les agglomérations qui envisageaient de les exclure avant 2028 fassent machine arrière.
Des problèmes persistants pour les professionnels itinérants
Le recul des échéances d’interdiction a été présenté comme une victoire par les associations de citoyens et les politiques détracteurs des ZFE. Les défenseurs de l’environnement y ont vu au contraire un renoncement car, comme le soulignait en mars 2024 le président de l’association Respire :
« Oui, la qualité de l’air s’améliore, mais elle reste mauvaise. Les seuils mesurés en France sont encore trop au-dessus des recommandations de l’OMS. De plus, les seuils de référence sont totalement obsolètes et vont être abaissés drastiquement dans le cadre de la révision de la directive européenne sur la qualité de l’air. »**
Pour les professionnels, l’aménagement du calendrier des ZFE est loin de tout résoudre. De fait, les ZFE n’ont pas été pensées dans l’optique des professionnels du transport et de la logistique et, plus largement, de tous ceux que leur métier oblige à se déplacer — en voiture, utilitaire ou poids lourd — dans les périmètres réglementés. La mobilisation des acteurs de la profession tend à imposer aujourd’hui une distinction entre « ZFE logistique » (ou ZFE marchandises) et « ZFE particuliers ». Absente des textes législatifs, cette distinction se justifie par des différences d’enjeux et de modalité de mise en œuvre soulignées par Xavier-Yves Valère, chef de mission fret et logistique à la DGITM (direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités, ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires).
« Ce qu’on fait pour le particulier est ce que j’appelle une politique de voiture balai : on accompagne ceux qui ont le plus de difficultés à rentrer dans les normes de qualité de l’air. Et si le parc de diesel ne se résorbe pas, s’il l’on constate des problèmes de pouvoir d’achat, on est tenté, pour des raisons d’acceptabilité sociale, de reculer la date.
Pour le transport de marchandises, ce n’est pas du tout la même chose. Un professionnel qui investit dans un véhicule propre ne le fait pas en fonction des dates butoirs de la ZFE. Ce peut être 3 ans avant l’échéance, ce qui signifie que, pendant 3 ans, il va se retrouver en concurrence avec ceux qui vendent le même service que lui, mais avec des diesels bien amortis qui leur coûtent 3 fois moins cher à l’usage. Il n’y a pas de faculté du marché à valoriser le transport vertueux. »
Face à cette incapacité du marché à valoriser par lui-même les investissements vertueux, les professionnels expriment 3 attentes étroitement liées entre elles :
1 – S’en tenir aux dates annoncées, car ceux qui investissent en temps voulu doivent avoir l’assurance que tout le monde sera contrôlé et que ceux qui ne sont pas aux normes seront pénalisés. Or à ce jour, non seulement les dates ont été modifiées plusieurs fois mais, de plus, aucun dispositif de contrôle automatique des ZFE n’a encore été déployé. Le système de radar en cours d’évaluation par les autorités nationales ne sera pas homologué avant 2026.
2 – Tenir compte de l’offre de véhicules lors de l’établissement des calendriers. Si l’offre pour satisfaire aux normes de qualité de l’air n’existe pas ou est quantitativement insuffisante, il est tout simplement impossible pour tous les acteurs concernés de se mettre en conformité aux dates prévues. La concertation avec les constructeurs de véhicules « propres » est donc un préalable indispensable à l’établissement de calendriers d’interdiction réalistes pour les professionnels.
3 – La collectivité doit offrir des avantages/facilités à ceux qui investissent. Tout en déplorant la multiplication des dérogations locales, les professionnels du transport réclament des privilèges pour valoriser leurs investissements. Ce peut être la possibilité de livrer la nuit ou avoir un droit d’accès aux zones piétonnières si vous avez un camion électrique sans compresseur (silencieux donc). Ce type de facilité permet de donner un avantage commercial tangible à ceux qui supportent des coûts d’exploitation plus élevés.
« Pour créer une ZFE marchandises, on a besoin de s’entendre sur les règles et de fabriquer des conditions qui corrigent ce que le marché ne fera pas tout seul. On est en train d’inventer les règles du jeu rendant les ZFE marchandises acceptables pour les professionnels et donc effectives. »
L’harmonisation des règles est en cours
Le fait de laisser aux collectivités la liberté de définir le calendrier, le périmètre et les règles de leur ZFE a abouti à une situation illisible dans l’espace et dans le temps, avec de multiples dérogations temporaires ou durables posant d’innombrables problèmes opérationnels aux professionnels itinérants. L’Union TLF, qui regroupe 2 000 entreprises de transport et de logistique, n’a eu de cesse de rappeler que, par nature, les transporteurs se déplacent dans plusieurs territoires et d’appeler à une harmonisation des règles ZFE au niveau national. C’est une des missions du comité ministériel pour la qualité de l’air en ville mis en place fin 2022, auquel les syndicats professionnels, les collectivités et la DGITM ont été associés. Ce travail collectif a permis aux parties prenantes de s’accorder sur les constats concernant :
- les réalités opérationnelles des transporteurs ;
- la production industrielle de véhicules ;
- les taux de renouvellement des flottes, qui varient significativement selon que vous êtes transporteur en compte propre ou transporteur pour autrui.
« On a l’impression, grâce à ce travail collectif, d’une forme de prise de conscience de la part des collectivités locales et des décideurs publics. Outre des calendriers plus réalistes, ce qui commence à se dessiner c’est un socle commun de réglementations et notamment de dérogations qui pourrait s’appliquer à l’échelle nationale et qui simplifierait la vie de tout le monde. »
Des transporteurs qui jouent le jeu
Des règles claires, stables et homogènes, les transporteurs n’attendent que ça. Ils sont prêts à jouer pleinement le jeu des ZFE, à condition d’être accompagnés économiquement dans la transition de leur flotte. D’où leur demande d’une simplification des aides à travers l’instauration d’un guichet unique. Comme l’explique Pierre Lefevre, responsable des achats indirects du groupe Pomona (2350 camions), « l’accompagnement économique est indispensable car les camions à énergies alternatives sont significativement plus coûteux que les camions thermiques. Dans la perspective de généralisation des ZFE, nous intégrons progressivement les biocarburants (B100, HVO) et commençons à nous intéresser au 100 % électrique, avec une équation économique plus difficile à résoudre. Il y a de multiples types d’aides. Certaines sont réservées aux plus petites entreprises. Les projets lancés par l’ADEME demandent le montage d’un dossier ad hoc pour espérer obtenir une forme d’aide. C’est du coup par coup et cela ne colle pas toujours avec nos plans de renouvellement et de verdissement de flotte. Conjuguer tout cela avec les dates de fin de contrat n’est pas toujours évident. »
« Le passage à l’électrique implique également d’adapter la puissance électrique disponible sur nos sites. Économiquement, aujourd’hui, nous avons plus à y perdre qu’à y gagner. Mais nous avons une trajectoire bas carbone à respecter et nous nous devons d’avancer. Avec les ZFE, c’est un peu sous la contrainte, mais au final c’est aussi une opportunité. »
>> Pour savoir exactement quels véhicules peuvent circuler dans les ZFE existantes, nous vous rappelons l’existence de la plateforme zfe.green qui répertorie toutes les dérogations en vigueur.
>> Nous vous rappelons également que les périmètres et restrictions ZFE sont intégrés dans les graphes utilisés par les solutions de planification et d’optimisation de tournées Nomadia. Et parce que la mise en œuvre des ZFE n’en est au fond qu’à ses débuts, ces données sont et seront actualisées autant que nécessaire, sans que vous ayez à vous en préoccuper.
** Toutes les citations ont été recueillies lors de la conférence « ZFE : de la controverse à la mise en œuvre » qui s’est tenue le 21 mars 2024 dans le cadre du SITL 2024.