Impact écologique – L’étau se resserre autour des véhicules les plus polluants [1/2]
En ville, pour la livraison du dernier kilomètre, comme pour le transport longue distance, les réglementations sur les émissions de CO2 se durcissent et incitent les acteurs du transport de marchandises à passer à des énergies décarbonées. Mais le renouvellement des flottes est lent. Contre toute attente, la crise de la Covid-19 pourrait accélérer la transition énergétique du secteur !
Que les transporteurs se préoccupent de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et de polluants, ce n’est pas nouveau ! Cela fait des décennies qu’ils s’y emploient expressément en changeant leurs pratiques et en modernisant leurs flottes de camions (PTAC > 3,5 t) et d’utilitaires légers (VUL). Les résultats obtenus sur la période 1990-2019 sont loin d’être négligeables, notamment en matière de réduction des polluants ayant un impact local à court terme sur la qualité de l’air :
Source : FNTR / Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA) – Juillet 2020
Grâce à ces efforts – et au concours actif des constructeurs, tant pour abaisser les consommations de carburant que pour réduire les émissions polluantes – 69% du parc de camions français en circulation en 2018 étaient conformes à la norme Euro VI, la plus exigeante concernant les émissions de polluants pour les véhicules lourds.
Le défi de la décarbonation
La réduction des polluants de court terme est une chose, mais face à l’urgence climatique, la priorité est à la réduction des émissions de CO2 et autres gaz à effet de serre en raison de leur impact à long terme et global. C’est particulièrement vrai dans le transport routier (personnes et marchandises), responsable de 29% des émissions en France (2019). Sur ces 29%, 6% sont imputables aux camions et 6% aux VUL.
L’équivalent CO2 généré par tonne-km transportée a baissé d’environ 15% depuis 1990. Mais il n’a échappé à personne que le transport routier de marchandises a considérablement augmenté au cours des 30 dernières années. En conséquence, les émissions de CO2 ont elles aussi augmenté (+6% entre 1990 et 2019 pour les camions, + 35% pour les utilitaires). Le transport de marchandises n’ayant pas vocation à décroître en volume à court ou à moyen terme, notamment en raison de l’explosion du e-commerce, le seul moyen de réduire les émissions de CO2 est de s’attaquer à la décarbonation des flottes de véhicules. Le défi est gigantesque compte tenu de la taille et de l’état du parc au 1er janvier 2020 [source SDES 2020] :
- Le parc de poids lourds compte un peu plus de 600 000 véhicules (dont 50,8 % de camions et 36,2% de tracteurs routiers)*, et le parc de VUL un peu plus de 6 millions, dont une majorité de camionnettes (78%).
- 50% des poids lourds ont moins de 6 ans, mais les différences sont importantes entre les camions et les tracteurs routiers. Alors que l’âge médian des seconds est de 3 ans, il est de 9 ans pour les premiers, sachant que les 10% de tracteurs routiers les plus âgés ont plus de 11 ans contre 22 ans pour les camions.
- surtout, 95% des utilitaires et 99% des poids lourds roulent encore au diesel !
Le moins que l’on puisse dire est que la réalité énergétique du parc n’a rien à voir avec ce qui est constamment mis en avant et présenté comme quasiment acquis, à savoir : la généralisation des motorisations électriques et l’imminence du passage à l’hydrogène… On en est très loin, comme le montre l’évolution des motorisations/carburations depuis 2011 :
Le GNV, 1ère alternative au gazole ?
Force est de constater que la seule catégorie qui a progressé fortement au cours des 10 dernières est celle des carburations GNV et autres gaz : +837 % pour les camions et +2300 % pour les tracteurs. C‘est très encourageant, à ceci près que la performance carbone du GNV d’origine fossile est loin d’être satisfaisante. Celle du bioGNV (issu de la biomasse) l’est davantage (-80% de CO2 par rapport au gazole). Encore faut-il avoir la certitude de pouvoir alimenter en biométhane un parc qui augmenterait fortement, ce qui ne semble pas être le cas (source Carbone4).
Quoi qu’il en soit, le GNV et ses variantes (GNL, GNC) séduisent un certain nombre de transporteurs. En 2019, par exemple, le Groupe Bills-Deroo a investi dans ses 3 premiers camions GNC (gaz naturel comprimé). Son CEO, Jimmy Bils juge l’expérience positive. Il souligne cependant « un surcoût à l’achat très important puisqu’on parle de 30% ou 35% de plus qu’un thermique. La maintenance est également plus chère. Avec un diesel, on fait un entretien tous les 80 000, voire 100 000 km, alors que sur une technologie gaz, vous êtes obligé de faire un entretien tous les 20 000 ou 30 000 km. Cela veut dire une immobilisation du camion pendant une demi-journée ou une journée beaucoup plus souvent dans l’année. »
En revanche, en coût d’usage au kilomètre hors entretien, le GNC est intéressant : « Avec le gaz, on consomme de l’ordre 15% de moins qu’un diesel et le gaz est aussi moins cher. On a donc globalement une économie au km entre 15 et 20% sur le carburant. » D’où sa conclusion : « Si on ne recherche que l’économie, le GNV/GNC n’est pas le bon créneau. Pour nous, ce choix s’inscrit dans une vraie démarche écoresponsable : on émet moins de CO2 et surtout moins de particules fines qui sont un fléau pour nous et pour la nature. »**
La croissance des camions et tracteurs GNV a beau être spectaculaire depuis 10 ans, la part du GNV reste ultra minoritaire : 0,84% en 2020 pour les tracteurs et 0,44% pour les camions. Elle est encore plus minuscule dans la catégorie VUL (0,05%).
La technologie gaz va continuer à progresser, mais elle n’a aucune chance, même à moyen terme, de prendre le pas sur le gazole et de peser significativement sur le bilan carbone du transport de marchandises. Qu’en est-il des motorisations électriques et de l’hydrogène dont on parle tant ? Ces alternatives aux carburants fossiles vont-elles tenir leurs promesses ? Toutes les conditions sont-elles réunies pour qu’elles s’imposent ?
C’est ce que nous examinerons dans un deuxième billet.
* les 13 % restants correspondent à des véhicules spécialisés (VASP) destinés à des usages complémentaires au transport (grues routières, véhicules incendie…)
** Intervention lors de la table-ronde Green Logistics : comment optimiser la chaîne logistique afin qu’elle réduise son impact environnemental ? dans le cadre de la SiTL 2020 (24 juin).