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e-Commerce, la fin de la fête ?

e-Commerce, la fin de la fete ?

Après deux décennies de croissance à deux chiffres continue, le e-commerce des produits physiques semble avoir marqué le pas en 2022. Entre défis logistiques, hausse générale des coûts, baisse du pouvoir d’achat et montée des préoccupations écologiques des consommateurs, à quoi faut-il s’attendre en 2023 ?

Difficile de parler d’effondrement quand on voit que le chiffre d’affaires global du e-commerce a progressé de 11,8 % au premier trimestre 2022, de 10 % au deuxième et de 16,8 % au troisième (source Fevad). Mais si l’e-commerce est resté en croissance en 2022, c’est surtout grâce au rebond des ventes de services car les ventes en ligne de produits physiques ont bel et bien reculé de 15 % au cours du premier semestre par rapport au premier semestre 2021. C’est cette baisse, qualifiée de « vertigineuse », qui nous a valu une avalanche d’articles sur « l’effondrement » du e-commerce. Il faut relativiser ! D’une part, la baisse s’est sérieusement ralentie au troisième trimestre (– 2% vs T3 2021) ; d’autre part, et bien que les chiffres du quatrième trimestre ne soient pas encore publiés, la plupart des analystes voient 2022 comme un retour à une croissance « normale » après deux années de crise sanitaire où les ventes en ligne de produits physiques avaient bondi de 42 %. Toute la question est de savoir si ce retour à la normale va se poursuivre en 2023, dans un contexte économique et social qui n’incite pas vraiment à l’optimisme…

L’inflation impacte la consommation

Si le taux d’inflation est plus modéré en France que dans la plupart des pays de l’Union européenne (5,2 % vs 11,1 % en 2022), les ménages ont vu certains postes de dépenses contraintes fortement augmenter, en particulier : l’énergie (+ 15,1 % en un an), l’alimentation (+ 12,1 %) et le transport (+8,6 %) [source Insee, Indice des prix à la consommation, 13/01/2023]. Les salaires ne progressant pas aussi vite que les prix, les ménages français, notamment les plus modestes, voient mécaniquement leur pouvoir d’achat diminuer, ce qui induit deux types de comportements :

  • la recherche de substituts moins onéreux. Ce dont témoigne le recours accru aux marques distributeur et aux produits « premier prix » pour les produits alimentaires et non alimentaires, ainsi que le regain de fréquentation des enseignes de hard discount ou perçues comme telles. De ce fait, les trois enseignes qui ont gagné le plus de parts de marché en France en 2022 sont Aldi, Lidl et Leclerc. On peut y ajouter Action qui, avec plus de 700 magasins à ce jour, s’impose dans l’univers des consommateurs en quête de bonnes affaires et de petits plaisirs à bas prix.
  • le renoncement à des achats « moins essentiels » dont les ménages décident de se priver à court terme ou qu’ils peuvent reporter sans grand préjudice. Cela concerne, en premier lieu, les loisirs et l’habillement, ainsi que les produits alimentaires bio dont les ventes ont reculé en 2021 (- 1 %) et 2022 (- 5 %) après des années de croissance à 2 chiffres.

Ces comportements ont de fortes chances de durer car les Français abordent 2023 avec un moral en berne. Depuis septembre 2022, l’indicateur synthétique de confiance des ménages calculé chaque mois par l’Insee est encore plus bas qu’il n’était au cœur de la crise de 2008. Entre crainte que l’inflation ne s’aggrave, incertitudes quant à l’évolution des prix de l’énergie (carburant et chauffage), hausse des taux d’intérêt réduisant l’accès au crédit et passage en force d’une réforme des retraites massivement rejetée, le soulagement qu’a été la sortie de la crise covid n’est plus qu’un lointain souvenir. En témoigne la retenue dont les Français ont fait preuve en fin d’année : en matière d’achats alimentaires « festifs », les ventes ont baissé de 10 % par rapport à 2021 dans les circuits de la grande distribution, augurant d’une année 2023 difficile qui n’épargnera probablement pas le e-commerce.

Le drive à la croisée des chemins

Dans ce contexte peu réjouissant, le e-commerce alimentaire résiste tant bien que mal. Ceux qui l’ont découvert à travers le drive (90 % du e-commerce alimentaire/PGC) en 2020, à l’occasion du premier confinement, sont nombreux à être restés clients, portant à 11 % la part du e-commerce dans le total des achats alimentaires et PGC. Mais après une croissance euphorique de 47 % en 2020, puis de 6 % en 2021, le drive rejoint la tendance baissière générale avec un CA en recul probable de 2 % en 2022. Olivier Dauvers explique ce repli par le regain d’attractivité des hypermarchés pour des consommateurs à la recherche d’un maximum de promotions, sachant que « le taux de réplication de promos en drive n’est encore que de 31 % en moyenne ».

Si le drive classique ralentit, la livraison des courses à domicile prendra-t-elle le relai ? C’est le pari que fait Carrefour. L’enseigne veut tripler son volume d’affaires e-commerce à l’horizon 2026, notamment en misant sur les « nouveaux formats » que sont la livraison express (moins de 3 heures) et le quick commerce (moins de 15 minutes). Elle table également sur une redéfinition des assortiments faisant la part belle aux produits en marque propre et premiers prix, tant en magasin qu’en ligne. On note avec intérêt que, dans le cadre de cette stratégie résolument omnicanal, les assortiments alimentaires et non alimentaires seront recentrés sur les besoins clés des clients de chaque magasin et les caractéristiques de la zone de chalandise, grâce à une approche socio-spatiale basée sur la data.

La livraison à domicile à l’épreuve des vrais prix

Mais, pour Carrefour comme pour tous les acteurs de ce marché, le développement de la livraison à domicile dépend de la capacité à minimiser le prix de la livraison pour le consommateur. Ce sera difficile. On sait déjà que, dès le mois de mars, les distributeurs vont devoir répercuter les hausses de prix négociées par les industriels. Comme tous les postes de dépense de ces derniers ont augmenté, les hausses demandées initialement ont atteint 40 % dans certaines catégories. Si les enseignes de distribution veulent contenir les prix en rayon et en ligne pour envoyer un bon signal prix, on voit mal comment elles pourront continuer à proposer des livraisons à prix cassé, voire gratuites.

Or le prix de la livraison est un critère décisif pour le consommateur et ce, sur tous les segments du e-commerce. C’est en jouant la carte de la gratuité ou de la quasi-gratuité des livraisons que les pure-players ont réussi à s’imposer et à gagner des parts de marché. Tout le monde s’est aligné sur ce modèle, faisant de la livraison gratuite ET toujours plus rapide la norme aux yeux du consommateur. S’y est ajoutée la gratuité des retours produits qui a levé les derniers freins, notamment sur le segment de l’habillement. 2022 marque la fin de la partie :

  • en septembre 2022, Amazon a augmenté de 40 % le prix de son abonnement annuel Prime. La plupart des clients qui s’abonnent à ce service le font pour bénéficier de la livraison gratuite en 24 heures et des retours tout aussi gratuits, le tout en illimité. A 69,9 euros au lieu de 49,9, ce privilège reste accessible pour la grande majorité des clients abonnés. Cependant, l’augmentation est loin de couvrir les coûts supportés par Amazon pour offrir la qualité de service qui a fait sa réputation et son succès. Mais les temps sont durs pour tout le monde et, pour la première fois de son histoire, Amazon a annoncé une vague de 18 000 licenciements qui touchera aussi l’Europe. C’est moins qu’il n’y paraît pour un groupe qui emploie à ce jour 1,54 millions de collaborateurs, dont la moitié ont été recrutés entre 2020 et 2022 pour répondre à l’explosion de la demande engendrée par la pandémie. Cette réduction de voilure indique clairement que l’entreprise anticipe une année 2023 difficile.
  • Des marques majeures comme Zara, H&M et Uniqlo ont mis fin aux retours gratuits. Elles seront suivies par beaucoup d’autres en 2023. La contribution demandée au client ne couvre pas toujours le coût réel de transport et de gestion des articles retournés (plus de 10 euros), mais limite la casse dans un secteur où jusqu’à un produit acheté en ligne sur trois fait l’objet d’un retour.

Ce qui a été longtemps un levier de conquête majeur pour les acteurs du e-commerce ne peut plus l’être : le transport et la logistique ont un coût de plus en plus élevé qui ne peut plus être pris en charge par les seuls marchands. Face à cette réalité, deux tendances largement amorcées ces dernières années devraient être confortées en 2023 :

  • des prix fortement différenciés en fonction du délai et, le cas échéant, de l’heure de livraison souhaités par le client, ce qui permet aux e-marchands d’optimiser la planification de leurs expéditions et de minimiser le coût des tournées grâce à un meilleur remplissage des véhicules ;
  • la mise en avant du click & collect et surtout de la livraison en point relais. Les deux options présentent l’avantage de concentrer les livraisons sur un nombre plus réduit de points, d’éviter les échecs de livraison à domicile dus à l’absence des clients, tout en offrant beaucoup de flexibilité à ces derniers grâce à la densification des réseaux de points de retrait et à des plages d’ouvertures souvent très étendues.

La seconde main à la rescousse de la croissance

L’achat de produits d’occasion s’est très tôt fait une place sur le web, avec des plateformes emblématiques comme eBay et les sites de vente entre particuliers comme leboncoin. Le marché de la seconde main draine un nombre croissant de consommateurs aussi soucieux de préserver leur pouvoir d’achat que d’agir de manière responsable sur le plan écologique. Dans le top 20 des sites e-commerce les plus visités en France, leboncoin apparaît en 2e position avec 27 millions de visiteurs uniques par mois, et Vinted en 4e position avec 16 millions de visiteurs (classement Fevad, 3e trimestre 2022). Le paradoxe veut que SHEIN — champion d’une « ultra fast fashion » au bilan écologique catastrophique — apparaisse lui aussi dans ce classement (en 16e position, avec 9 millions de visiteurs mensuels)…

Quoi qu’il en soit, le marché de la seconde main se structure et s’il explose dans la mode, il couvre toutes les catégories de produits imaginables, luxe compris. De nouveaux acteurs français sont en train de se faire une place sur ce marché (comme Omaj dans l’habillement ou Back Market dans l’électronique reconditionné) et tous les grands sites marchands, toutes les places de marché ont désormais un rayon « seconde main ». Les marques de luxe n’échappent pas à la tendance et cherchent à reprendre le contrôle sur la vente d’occasion de leurs propres produits plutôt que de les laisser aux mains des spéculateurs plus ou moins organisés.

Evalué à 7 milliards d’euros en France en 2022, le e-commerce de la seconde main a de beaux jours devant lui. Il devrait être, dans les 2 prochaines années, un important relais de croissance pour les marques et les enseignes qui sauront s’imposer comme tiers de confiance entre vendeurs et acheteurs. Dans le mouvement de réintermédiation que connaît actuellement le marché de l’occasion, le rôle des sites e-commerce sera plus que jamais de garantir à la fois la qualité/l’authenticité des produits, la sécurité des paiements et l’arrivée à bon port des commandes. Ce qui est certain, c’est que – seconde main ou pas, livraison à domicile, en magasin ou en point relai – l’excellence logistique continuera à faire la différence, entre les acteurs et pour les clients.